- Le rapport d’expertise montre que 85 % des salariés doutent ou n’adhèrent pas au plan de la direction.
Le cabinet agréé Technologia mandaté par le CSE-Central (CSEC) le 3 octobre 2024 pour réaliser l’expertise sur les risques économiques, juridiques et psychosociaux du projet de suppression du service du contrôle médical (SCM) a été présenté aux élus du CSE-Central du 3 décembre 2024.
Méthodologie
La méthodologie de cette expertise « Projet important » est très robuste et repose sur une documentation particulièrement solide.
- Volet quantitatif : Les 7188 salariés du SCM été consultés dans un (longue) et détaillés enquête en ligne (formulaire) sur leur perception du fonctionnement du SCM et des risques que la suppression du SCM fait peser sur leur avenir professionnel à laquelle 72% des salariés ont participé;
- Volet qualitatif : 120 entretiens de salariés en face-en-face ont été réalisés (avec une proportion majoritaire de personnels administratifs de niveau 3 et 4 [70%]. 7 « super » directeurs de la CNAM (dont le Directeur général lui-même) ont aussi été interrogés et cinq médecins du travail;
- Volet analytique : une analyse des 1eres évaluations économiques et d’une documentation de près d’une trentaine de rapports légaux de référence a été réalisée
La synthèse de l’étude (novembre 2024)
- Les difficultés du Service Médical sont nombreuses. L’organisation du travail (« requête unique ») a pu faire perdre du sens au travail, la relation entre les échelons départementaux, régionaux et la CNAM est largement perfectible, la qualité de la relation avec la CPAM est très variable selon les départements. Sur le plan RH, la pénurie de médecins est criante, la pyramide des âges du service médical dans son ensemble est déséquilibrée. Les salariés ont une vision de l’avenir dégradée, et la fatigue et le stress sont très présents. 42% des personnels se déclarent toujours ou souvent fatigués dans les 12 derniers mois (59% en Bourgogne Franche Comté; 54% en PACA; 52% en Grand Est) et 42% des personnels se déclarent toujours ou souvent stressés dans les 12 derniers mois (53% en Bourgogne Franche Comté; 50% en PACA; 48% en Grand Est; 44% en Occitanie).
- Des facteurs de protection forts sont présents, qu’il convient de préserver. Les collectifs de travail se connaissent bien grâce à la forte ancienneté, ils sont soudés par des valeurs communes de service public et de service aux assurés, par la dimension médicale du travail (y compris pour les administratifs), et par l’importance de l’indépendance médicale et du secret médical. L’arrivée des infirmières dans le corps social s’est bien passée. Les praticiens conseil apprécient la polyvalence de leurs activités. L’équilibre vie privée/vie professionnelle est satisfaisant, 73% des salariés se déclarent plutôt ou tout à fait satisfaits de leur situation professionnelle et 84% se déclarent engagés.
- La direction de la CNAM a choisi de déployer un projet proche du scénario 4 de l’IGAS, afin de maximiser les « synergies médico-administratives ». Selon les analyses de la direction, l’intégration du service médical dans les CPAM permettra de gains d’efficience de 1% sur le processus prestations, de 4% sur la gestion du risque (accompagnement des offreurs de soin, prévention, lutte contre la fraude, recours contentieux), et jusqu’à 65% sur certaines fonctions support. Ces gains devraient permettre de libérer à terme 987 ETP qui seraient redéployés sur la gestion du risque et la lutte contre la fraude. Ce redéploiement de effectifs permettrait de gagner 114 M€ par an en maîtrise des dépenses de santé, en vitesse de croisière
- Ce scénario est très impactant sur le plan RH et comporte des écueils juridiques importants. Pour mettre en œuvre la phase 1, il faudra transférer les effectifs à la CPAM (avec un rôle à la DCGDR pour certains) ce qui nécessite une mise à disposition par la DRSM (tant que l’amendement 2233 du PLFSS n’est pas voté), ce que les salariés peuvent refuser. Lors de la phase 2, il faudra disperser les effectifs dans les différentes directions de la CPAM, ce qui remettra en cause la polyvalence à laquelle ils sont attachés. Les modèles sociaux sont différents d’une DRSM et d’une CPAM à l’autre, notamment concernant des éléments essentiels du contrat de travail (ex : temps de travail), mais aussi concernant des éléments essentiels pour les salariés car ils contribuent significativement à leur niveau de vie (ex : ASC du CSE qui peuvent représenter jusqu’à 2/3 du salaire de base mensuel pour les salariés les plus modestes). Il faudra donc mener autant de négociations qu’il y a de DRSM (16) et de CPAM (102). A ce stade de la consultation, les analyses de comparaison des modèles sociaux n’ont pas encore été menées par la direction de la CNAM, ce qui rend impossible la mesure précise de l’impact pour les salariés par l’expert et les élus du CSE central.
- La réticence des salariés du SM par rapport au projet est très importante, l’anxiété qu’il déclenche est élevée. 31% de l’effectif n’adhère pas au projet. Ce pourcentage monte à 52% à la Réunion, 45% à la Martinique, 40% en Centre-Val de Loire et en Guadeloupe, 39% en Occitanie, Hauts de France).
- L’anxiété que génère le projet est importante : 65% des salariés se déclarent inquiets, 30% pessimistes. 39 % de salariés se déclarent trahis ou en colère. Les craintes sont diverses : perte de l’indépendance médicale, pressions sur la productivité et les indicateurs, éclatement du collectif de travail protecteur, trajectoires de carrière subies qui peuvent conduire à une mise en échec professionnelle (« repartir à zéro »), perte du modèle social, espaces de travail en open-space…Il faut noter que parmi les salariés du SM, la CPAM a la réputation d’être un univers plus « dur », plus productiviste, où on licencie plus facilement, ce qui génère parmi certains salariés (plutôt les administratifs) des craintes pour leur emploi à terme.
- Au-delà des impacts RH, le projet est une transformation culturelle de grande ampleur. De nombreux salariés du SM ont une image dégradée de la CPAM, perçue comme uniquement focalisée sur les objectifs financiers et la productivité, et de son directeur, perçu comme « tout-puissant ». Ils craignent que le futur directeur médical de la CPAM ne soit pas à même de garantir l’indépendance médicale à laquelle ils sont très attaché. Dans certains départements, l’historique des relations entre le directeur de la CPAM et le médecin chef est mauvaise. Si elle doit avoir lieu, la réunion des deux corps sociaux nécessitera la plus grande attention, et elle prendra probablement du temps. Le rapport de l’IGAS alertait sur l’acceptabilité sociale du scénario 4 et la nécessité d’une conduite du changement solide.
- Si le projet permet de faire des gains de « synergie médico-administrative » et de redéployer les effectifs sur les priorités stratégiques de la CNAM, il n’est pas évident qu’il permettra de résoudre tous les problèmes actuels du SM. Le projet ne revient pas sur les questions d’organisation du travail ni de logiciels qui ont contribué à faire perdre de l’autonomie dans le travail et à lui faire perdre du sens au travail. Il ne contribue pas nécessairement à une meilleure coordination régionale puisque les effectifs seront localisés dans les départements, qui seront coordonnés par la DCGDR. La DCGDR n’ayant pas de lien hiérarchique avec les CPAM, sa capacité à organiser l’entraide pourrait être limitée. Il ne contribue pas à une meilleure coordination nationale puisqu’aucune évolution de la gouvernance de la CNAM n’est prévue. Les consignes du national continueront à « descendre » de différentes directions insuffisamment coordonnées entre elles. Il n’est pas non plus prévu de créer une véritable direction médicale à la CNAM ni de renforcer le positionnement et les effectifs de la MAREM ‘mission de coordination des DRSM à la Cnam).
- En revanche le projet peut contribuer à déstabiliser le SM. L’absence de niveau régional hiérarchique des niveaux départementaux peut rendre l’entraide plus difficile, dans un contexte de pénurie de PC. Les trajectoires de carrières subies peuvent démotiver : la spécialisation peut faire perdre de l’intérêt au travail, le fait de devoir réapprendre un métier peut ralentir l’avancement. Les potentiels refus de mise à disposition peuvent déstabiliser les équipes et créer de l’iniquité entre personnels. La question de la rétention des personnels va se poser de façon aigüe, dans un contexte de déséquilibre de la pyramide des âges et de métiers en tension. 31% des PC, 39% des ISM, 33% des cadres managers songent à quitter l’assurance maladie si le projet est mené à son terme. Le projet est donc de nature à déstabiliser encore plus les équipes. La réticence forte des personnels, l’anxiété et la perte de repères que le projet a déclenchées peuvent conduire à la démotivation.
- La direction de la CNAM a choisi de déployer le projet dans un laps de temps resserré. Les premières « bascules » dans le nouveau modèle Phase 1 sont prévues dès le 1er avril 2025, ce qui est très bref, dans le cas d’un changement culturel/ des impacts RH et juridiques aussi importants et laisse trop peu de temps aux négociations importantes qui doivent se tenir entre janvier et mars 2025. Le passage en « phase 2 » aura lieu dès le 1er juin 2025, ce qui serait extrêmement bref, et au plus tard le 1er avril 2026 (soit un an après la bascule phase 1).
- La conduite du changement a créé (ou accentue ?) une déconnexion entre la direction générale et le corps social. L’annonce de la réorganisation a été un choc. La confiance dans la direction locale a un score de 60/100, la direction régionale de 48/100, la direction nationale tombe à 33/100 et à seulement 30/100 pour les cadres managers ce qui montre la déconnexion des cadres, qui sont censés déployer la stratégie. 20% des salariés se sentent trahis, 19% en colère. De nombreux salariés expriment le fait que tout le projet était déjà « prévu à l’avance », et que la phase d’écoute a été un leurre. Ils sont choqués par le passage de l’amendement à l’Assemblée Nationale en parallèle du projet et soupçonnent des considérations politiques sans rapport avec les motivations affichées par la direction.
- L’expert considère que le projet est de nature à créer des risques psycho-sociaux parmi les salariés, à la fois par le scénario à fort impact RH qui a été retenu, et par son calendrier de mise en œuvre. Des risques psycho-sociaux sont déjà manifestes chez certains salariés depuis l’annonce du projet.
Préconisation de l’expert indépendant Technologia
- Préconisations à mettre en œuvre après la phase 1
Détendre le calendrier du projet et donner du temps aux négociations
Mettre en œuvre un plan d’action commun à toutes les régions pour anticiper les effets du projet de transformation. Prévoir le temps nécessaire à l’accompagnement du projet pour les RH et les managers qui en auront la charge, en plus de leur activité « normale ». Prévoir des affectations sur la base de fiches de vœux
Effectuer un retour d’expérience complet et formalisé qui sera présenté dans les CSE. Ne pas lancer la phase 2 du projet (Dispatch des salariés dans les directions de la CPAM) avant de l’avoir mené. Envisager de conserver l’existence d’un service médical autonome en CPAM le cas échéant
- Préconisations à mettre en œuvre si la phase 2 a lieu
Présenter des études d’impact complètes en CSE, avec fléchage cible des personnels et évaluation précise de l’impact.
Prévoir des affectations sur la base de fiches de vœux. Prévoir des entretiens RH pour les personnes qui n’auront pas eu les vœux souhaités ou pour toutes les situations difficiles. Bien clarifier le fonctionnement du double rattachement hiérarchique pour les PC
Préconisations à mettre en œuvre dans tous les cas (que le projet ait lieu ou pas)
Renforcer le rôle du médecin conseil national, afin d’améliorer la « synergie médico-administrative » à la CNAM. Etoffer son équipe.
Instaurer un comité de suivi indépendant chargé de veiller à la neutralité médicale, supervisé par le Médecin Conseil National. Mettre en place un comité d’éthique. Mettre en place une charte éthique.
Améliorer la façon dont les échelons départementaux sont animés par le régional et le national. Prévoir des animations métier, des partages d’expérience, des sessions d’information, des séminaires présentiels pour tous les métiers, administratifs, ISM, PC. Mieux associer les métiers aux grands projets : ex maîtrise d’ouvrage des logiciels, construction des requêtes.
Mener un audit de la gouvernance de la CNAM dans le but d’améliorer la façon dont les différentes directions communiquent avec les échelons régionaux/locaux du SM. Cet audit devra se faire sous l’égide du directeur de la MAREM
Donner des perspectives de développement professionnel. Donner un véritable statut aux ISM. Renforcer les formations. Renforcer l’attractivité. Clarifier les situations de délégation de tâches (ex : des MC vers les pharmaciens) de façon à ce que les professionnels ne se retrouvent pas aux limites de leurs compétences. Faire en sorte que les personnels du SM et de la CPAM se connaissent mieux
Faire un audit du fonctionnement de la « requête unique » et du logiciel MATIS
Traiter les situations difficiles repérées dans cette expertise : notamment Bourgogne Franche Comté; Centre val de Loire, PACA Corse; DROM.
Accéder au rapport d’expertise
- Lire le rapport d’expertise de Technologia (confidentiel à ce stade : demander les codes, 4 décembre 2024, 293 p.)
Une expertise qui fait écho au projet de la CGT pour le SCM.
Les conclusions de cette expertise valident en grande partie les axes du projet proposé dès le mois de juin 2024 par la Cgt pour une évolution du Service du contrôle médical (SCM) : un projet en 41 points à lire et bientôt à mettre en place ?