Après, la réforme territoriale de 2016, la réorganisation des services déconcentrés de l’État en 2018 et 2019, la loi de transformation des services publics en 2019, s’amorce aujourd’hui le projet de loi décentralisation, différenciation, déconcentration et décomplexification (4D).
Le projet de loi 4D : une organisation par le dépeçage des missions de l’État
La circulaire est relativement claire : « le projet doit permettre de nouveaux champs de transferts de compétence quand il existe de bonnes raisons d’estimer que la politique publique serait mieux exercée par une collectivité territoriale que par l’État ». Elle précise que « lorsque l’État transfère entièrement une compétence à une collectivité locale », alors « l’État ne doit pas garder des services intervenant dans les champs décentralisés, sinon pour garantir les missions de contrôle administratif et de respect des lois confiées à ses représentants par la Constitution. » Autrement dit, lorsque l’État devra se débarrasser de ses compétences il devra également se séparer de son service.
Outre les transferts de compétence, la loi encourage le développement des délégations de compétence, les contractualisations, et les expérimentations.
Ce projet est défini comme « un nouvel acte de décentralisation adapté à chaque territoire » devant prendre en compte la « différenciation », soit les spécificités des territoires. Il s’agit de poursuivre des transferts de pouvoir décisionnel vers des entités locales mais différemment en fonction des territoires, mais sans leur donner plus de moyens. Par conséquent, d’un territoire à un autre l’organisation des répartitions de compétences ne sera plus la même. D’un territoire à un autre, l’usager du service public ne trouvera pas les mêmes réponses à ses besoins. D’un territoire à l’ autre, l’agent n’exercera pas de la même façon son métier et n’aura pas le même statut . Ce projet fait de la différence un modèle d’organisation.
En instaurant « un droit à la différenciation », sur la base d’organisations et de règles différentes selon les territoires, le gouvernement acte la rupture d’égalité. Et qu’à cela ne tienne puisqu’il prévoit une révision de la constitution qui proposerait que certaines collectivités exercent certaines compétences que toutes (collectivité) n’auront pas.
Comme d’habitude pour beaucoup de projets structurants et importants pour le monde du travail et pour la population, le Gouvernement a lancé son projet début 2020 en annonçant une vaste concertation nationale dans les territoires. Cette concertation n’a été qu’une annonce de façade, et cela pas seulement à cause de la situation sanitaire, mais car il n’a créé aucune condition qui permette le débat démocratique qui aurait été pourtant indispensable pour une réforme d’une telle importance pour l’avenir.
- L’avant-projet de loi a été présenté par la ministre de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales le 17 décembre 2020 à la Délégation aux collectivités territoriales du Sénat, aux associations d’élus pour consultation puis aux organisations syndicales de fonctionnaires.
- L’échange avec les organisations syndicales a eu lieu lors de la réunion hebdomadaire habituelle sur le suivi de la crise sanitaire avec la ministre de la Transformation et de la fonction publiques qui avait invité en dernière minute et en fin de réunion la ministre de la Cohésion territoriale : présentation très rapide et laborieuse d’un diaporama sans débat ni intervention syndicale … Un moment de « dialogue social » à l’image de ce Gouvernement. Une présentation était prévue au Conseil supérieur de la fonction publique territoriale en janvier.
- Quant au Conseil de la CNAM, celui-ci est convoqué quasiment le jour pour le lendemain sur une loi qui concerne de plein fouet l’assurance maladie. La démocratie sociale est encore une fois bafouée.
Alors que la loi est présentée comme un progrès pour rapprocher les citoyens des institutions étatiques, le processus parle de lui-même : il s’éloigne toujours plus des principes démocratiques.
En ce qui concerne les articles qui intéressent directement la CNAM la CGT regrette encore une fois la rupture d’égalité qui en découlera et regrette le manque de prise en compte de la démocratie sociale et des instances de la Sécurité sociale qui pourtant été construites pour être au plus proches des habitants des territoires.
L’article 23 du présent projet de loi propose la réforme de la gouvernance des agences régionales de santé (ARS). Il propose de « transformer le conseil de surveillance des agences en conseil d’administration afin de renforcer le rôle de cette instance et conforter le poids des élus en son sein avec la nomination de trois VP dont deux VP désignés parmi les représentants des collectivités territoriales ».
La transformation des conseils de surveillance des ARS en conseils d’administration est bienvenue si elle va dans le sens de plus de démocratie sanitaire et sociale. Or, l’article 23, ne garantit en rien cette évolution. Que ce soit un Conseil de surveillance ou un conseil d’Administration ses contours et ses prérogatives ne sont pas définies et rien ne garantit plus de pouvoir à ce conseil d’administration. Que signifie en effet « fixer les grandes orientations de la politique contractuelle » alors même que celle-ci est déjà définie par l’État, et que le Gouvernement continue de décider ce que les ARS doivent ou non appliquer comme politiques ? Cela laisse penser à une ruse pour se dégager des responsabilités des mesures pourtant décidées au niveau gouvernemental.
Sur sa composition, nous ne voyons pas très bien comment la nomination de deux Vice-présidents représentants des collectivités territoriales (quel niveau choisir ?!), pourrait améliorer la réponse aux besoins sur le territoire. Quel seront leur pouvoir ? Comment sont-ils choisis ? Beaucoup de questions essentielles restent en suspens. En outre, quel que soit le nombre des futurs administrateurs, il ne semble pas qu’il soit prévu de leur donner ne serait-ce que les prérogatives qui sont celles des administrateurs des caisses de Sécurité Sociale, qui choisissent les agents de direction, participent régulièrement à des commissions dans lesquelles ils prennent des décisions, etc.
La CGT attachée au modèle de Sécurité sociale de 1945, rappelle que c’est l’assurance maladie qui finance largement les activités des ARS alors même qu’on lui a retirer toute vision et moyen de contrôle sur ces activités. Pourtant, les administrateurs des CPAM (Caisse Primaire d’Assurance Maladie) sont des représentants des travailleurs et de leurs familles et sont en contact permanant avec leurs concitoyens dans les territoires et dans les entreprises. C’est bien pour répondre aux besoins des territoires qu’avait été construites, de manière cohérente, les institutions de la Sécurité sociale, notamment au travers des élections annuelles des administrateurs des caisses dont nous revendiquons le rétablissement. Dès lors, prévoir que les administrateurs des CPAM, actuellement dans les conseils de surveillance des ARS, puisse auditer la gestion du FIR (Fonds d’Intervention Régional) chez l’Agent Comptable de l’ARS, comme ils auditent la gestion de l’Agent Comptable d’une Caisse de Sécu aurait beaucoup plus de sens pour nous. De plus, leur redonner un vrai rôle dans la construction des schéma régionaux de santé serait la meilleure façon de reconstruire de la démocratie sanitaire et sociale sur les territoires.
Enfin, le vrai problème que rencontre les ARS pour prendre en compte les spécificités des territoires est celui du manque de moyen et du manque de personnel. Les grandes régions sont le prétexte au non renouvellement des postes alors même que les « tâches » restent aussi nombreuses et que les distances à parcourir sont multipliées. Les agents ont toujours moins les moyens pour remplir leurs missions. Et, quand par exemple, un même agent est responsable de l’accompagnement de soixante établissements médico-sociaux sur une région, il lui est difficile de prendre en compte les spécificités du territoire !
L’article 24 offre la possibilité aux collectivités locales de financer l’investissement des établissements. Encore une fois, sur le principe, cela pourrait être intéressant, mais comme c’est le cas depuis les premières lois de décentralisation, le transfert de compétence est dramatique s’il n’est pas accompagné d’un transfert de ressources par l’État. Il s’agit alors d’un report de contrainte de l’État vers les collectivités puis, in fine sur les populations et les personnels de santé dans les collectivités les plus pauvres. En effet, les collectivités qui se voient responsables de nouvelles compétences sans nouveaux financements, prisent en ciseaux, se voient obligées de réaliser des arbitrages dans leurs dépenses. Bien sûr, ces arbitrages sont bien plus importants dans les collectivités les plus pauvres. Ce genre de politique menée depuis les années 1980 mènent donc vers des inégalités territoriales criantes que subissent les populations. Par ailleurs, et cela va de soi, nous nous opposons au financement de tout établissement à but lucratif, l’agent public ne devant être le support de profits privés.
L’article 25 ouvre la possibilité de recruter les personnels de centre de santé. Là encore, nous nous félicitons de l’encouragement au développement de centre de santé sur les territoires, mais le problème du manque de ressources transférées reste le même que pour l’article précédent : si ces mesures ne sont pas accompagnées d’un financement à la hauteur, elles déclencheront des inégalités entre les territoires aux détriments des plus pauvres tout en dégageant l’État de ses responsabilités. De plus, le recrutement des personnels médicaux par les collectivités risque de peser sur les statuts de ces travailleurs avec à la clef à de nouvelles inégalités territoriales.
En somme, ce texte très pauvre en propositions concrètes laisse toujours plus d’autonomie aux collectivités sans pour autant leur en donner les moyens. Dans ce cadre, c’est l’État qui reste seul décideur de la politique sanitaire en fonction de l’agenda politique tout en se dégageant de la responsabilité de ses décisions. Ces quelques articles ne prennent pas la mesure des besoins urgents de réorganisation concertée avec les populations et les patients.
Une réflexion au sujet de « Loi décentralisation, différenciation, déconcentration et décomplexification (4D) : c’est quoi ce truc ? »
D’un territoire à un autre, l’usager du service public ne trouvera pas les mêmes réponses à ses besoins. D’un territoire à l’ autre, l’agent n’exercera pas de la même façon son métier et n’aura pas le même statut . Ce projet fait de la différence un modèle d’organisation….
Voilà le problème…. on nous retire de nos fonctions pour le laisser aux Ism,qui n’ont aucune compétence en milieu administratif ! La réalité est là.
Et on se retrouve à effectuer du travail de débutant qui ne correspond plus à notre statut… nos compétences et notre savoir n’est plus valable. On est géré par des responsables de service qui viennent de la comm de la cpam et qui n’ont aucune compétence dans le domaine médical voire administratif… c’est aussi ça la réalité…
Depuis la regionalisation on est oublié .on nous a retirer nos activités qui sont centralisées vers la gde région. On envoi les citoyens vers des plateforme téléphoniques pour réponse à leurs dossiers médicaux… c’est honteux ! Je ne me retrouve plus dans cette totale desorganisation même avec 30 ans d’ancienneté… et après on nous nomme des médiateur de qualité de vie au travail ! ? On se fou de nous… sans compter que nous n’avons même plus les chsct pour faire remonter tout nos problèmes.
A bout de nerf… voilà la situation. On ne peut même plus s’exprimer oralement auprès de nos responsables. C’est eux qui nous sollicitent pour qu’on les aide à faire leur boulot… on marche vraiment sur la tête.
D’après Votre article la situation va donc rendre la situation encore plus compliquée voire on va rembaucher des gens qui n’ont pas les compétences au lieu de prendre des gens du terrain…
Bon courage